Toute une soirée bien menée, une virée à Lyon avec Pierre Autin-Grenier
de bouchon en bouchon, dans la Mèche n°9 du 5 novembre 2010
Pierre Autin-Grenier nous a quittés le samedi 12 avril 2014
et ses amis pour se consoler croquent des radis bleus …
Toute une soirée bien menée (de notre envoyé spécial à Lyon)
Manger un soir à Lyon avec Pierre Autin-Grenier, l’auteur du savoureux Friterie-bar Brunetti (L’Arpenteur), c’est d’abord ouvrir une bouteille de Mâcon dans un salon de la Croix-Rousse encombré de livres, pour entamer comme il se doit la soirée. C’est ensuite – une fois éclusés les quelques coups salutaires qui permettent qu’avant qu’ils ne se tissent les liens commencent par se nouer – descendre à pied la Colline qui travaille – en saluant ceux qui comme lui y ont usé le fond de leurs culottes courtes – pour aller arpenter les Terreaux de bouchon en bouchon. L’homme est Lyonnais jusqu’au bout des quenelles : plus local que la Rosette (dont il a probablement bien connu la sœur), il est ici chez lui. Manger un soir à Lyon avec Pierre Autin-Grenier c’est hésiter les mains dans les poches entre Garet et Georges (le bouchon, pas la brasserie qui jouxte Perrache) pour atterrir aux Fédérations (trois authentiques et minuscules bouchons traditionnels du 1er arrondissement aux cartes couvertes d’andouillettes, de tripes, de saucisson pistaché et de têtes de veau). Manger un soir à Lyon avec Pierre Autin-Grenier c’est passer systématiquement du blanc à l’apéro au rouge à table : Pierre – qui a tout de même jadis servi sa messe à Saint-Nizier – a des principes ! C’est donc arrosés d’un gouleyant côtes-du-rhône que les gratons font leur entrée. Ils débarquent sur la table pour faire patienter, comme une escouade de hussards est chargée de fatiguer l’ennemi avant que ne tonne l’artillerie. Ils ont eu la prudente intelligence tactique de se faire accompagner d’une terrine de sanglier – tout seuls, ils ne faisaient pas le poids – et d’un généreux bol – comme on les aime – de caviar de la Croix-Rousse : la lentille est ici chez elle, le soja et les sushis, interdits ! Manger un soir à Lyon avec Pierre Autin-Grenier c’est parler bouffe et bouquins en sautant du Jésus aux pissenlits (avec dedans des lardons, des croûtons, des œufs pochés). C’est trinquer et plaisanter pour se raconter à mots couverts en picorant distraitement des radis bleus (Folio Gallimard). C’est se régaler d’un tablier de sapeur en causant de saucisses et de quenelles (de la vie, quoi, de la vie : la vraie, celle qui vaut la peine d’être vécue). On a beau – dans ces moments-là – savoir que L’éternité est inutile (L’Arpenteur), on en doute de plus en plus au fil du repas. Si elle doit se dérouler dans ce bouchon convivial à la clientèle d’habitués (les touristes sont vite démasqués), autour de cette nappe à carreaux, avec comme ami cet écrivain génial (qui a de toute sa vie vendu moins de livres que Marc Lévy et Guillaume Musso en six mois : comme quoi on peut être lecteur et stupide), avec ce pot de 46 cl (depuis 1843 : cela correspond à une demi-pinte) qui semble se remplir et se vider tout seul, on est prêt à tenter de lui survivre, à cette satanée éternité. On se dit qu’elle n’a qu’à bien se tenir ! Manger un soir à Lyon avec Pierre Autin-Grenier c’est se goinfrer – pour terminer ce frugal repas par quelque chose de consistant – de Cervelle des Canuts et de tarte à la praline : Toute une vie bien ratée (L’Arpenteur) ? Mon œil ! Manger un soir à Lyon avec Pierre Autin-Grenier, c’est enfin ému finir la soirée avec Anthelme quelque part vers Bellecour – dans un bistrot que jamais on ne retrouvera – pour refaire le Monde à grands coups de trancheflic : C’est tous les jours comme ça (Finitude) soupire le barman au petit matin, alors qu’en cuisine se prépare déjà le mâchon (ça tombe bien, on a un petit creux) …
Café des Fédérations, 10 rue Major Martin, 04 78 28 26 00, www.lesfedeslyon.com (le menu du soir était à 24 euros, on a vraiment mangé tout ça)
Le Garet, 7 rue Garet, 04 78 28 16 94
La brasserie Georges, 30, cours de Verdun, 04 72 56 54 54, www.brasseriegeorges.com (ce n’est pas un bouchon, mais c’est très bien quand même, et c’est juste à côté de Lyon-Perrache)
Chez Georges, 8 rue Garet, 04 78 28 30 46, www.aupetitbouchonchezgeorges.fr