Les tribulations gourmandes d’un Gentilhomme en Chalosse
La Chalosse a vu naître – à quelques encablures de ses frontières – les trois célèbres mousquetaires, Athos, Porthos et Aramis, Monsieur Charles de Batz-Castelmore, comte d’Artagnan, tous Gascons, Monsieur de Tréville, leur capitaine, et Monsieur de Pomarez, le plus célèbre d’entre tous, né en son cœur, là où les écarteurs, contrairement aux toreros, ne mettent pas les vaches à mort : vous voyez que la Chalosse et ses alentours en gentilshommes sont bien pourvus …
N’est pas Chalosse qui veut, Monsieur, l’aristocratie se mérite, même chez les bœufs, on ne naît pas plus Chalosse que l’on ne naît mousquetaire du Roi : on le devient, Monsieur, on le devient, et ce n’est pas, croyez-moi, aussi facile que ça en a l’air ! Chalosse, Monsieur, n’est pas une race, c’est une philosophie, un état d’esprit : le bœuf est de Chalosse quand il a été élevé en Chalosse, nourri en Chalosse, pas quand il est né de bonne famille, ce qui – ici ou ailleurs – est toujours un hasard (il faut bien que l’on soit né quelque part …).
La Chalosse, Monsieur, vous ne connaissez pas ?
Laissez-moi vous la raconter : c’est entre elle et moi une véritable histoire d’Adour.
La Chalosse est Gasconne, Monsieur : au Sud, le Béarn et la Bigorre la protègent, au Nord, ce sont les faubourgs de Mont-de-Marsan qui prennent soin d’elle, à l’Ouest, la forêt landaise, et à l’Est, l’Armagnac, vous voyez comme elle est bien entourée !
Entre ces deux parallèles, du maïs, des boeufs et des vignes à perte de vue. Oui, un vin de terroir s’épanouit sur ses Coteaux : un rouge un rien râpeux fait de cabernet franc, de tannat et d’égiodola, un moelleux fait de gros et de petit manseng, un blanc sec aromatique, d’arriloba, de chasan, baroque et colombard ; d’ailleurs, Monsieur de Tursan n’habite pas bien loin, Monsieur de Jurançon et Monsieur de Madiran non plus, comme l’illustre famille Pacherenc …
La Chalosse n’est pas habitée que de bœufs, bien sûr, les poulets et les canards fermiers s’y ébattent aussi, en grande liberté : c’est ce qui leur donne leur incomparable saveur.
On y cultive l’asperge et le kiwi, on y reçoit l’hiver la palombe : pour s’en régaler, il suffit de la rôtir, ou de la préparer en salmis, c’est, Monsieur, une Terre élue des dieux …
On y trouve aussi des jolies filles, depuis le paléolithique supérieur : si jolies que, 25.000 ans avant nous, un amoureux a sculpté dans l’ivoire de mammouth le portrait de sa belle, à Brassempouy (prononcez « pouille », à la landaise), c’est toujours la plus vieille représentation (au Monde) d’un visage humain …
Voilà, Monsieur, ce qu’est la Chalosse.
Venez donc à l’occasion vous y promener : quand, de vos yeux, vous la contemplerez, vous saurez que ce que je vous dis est vrai.
Froment ne saurait mentir
Le bœuf de Chalosse peut être de race limousine – il tire alors sur le roux, le feu, le rouge : on la dit « froment vif » – ou Bazadaise – d’un gris souris qui lui sied à ravir – ou encore d’Aquitaine, à la belle robe blonde couleur crème. La pauvre Bazadaise – que j’aime tout particulièrement – ne représente pas 1% de la production : trop petite, trop râblée, trop rustique, mais encore plus goûteuse. Elle a je vous l’assure une sacrée personnalité ! j’en ai bien connu une, il y a quelques années, mais je ne peux vous en dire plus, non, vraiment, Monsieur, non, et je vous demande de ne pas insister …
Une limousine dans la ferme de Bruno Ducasse, naisseur-éleveur-engraisseur à Mugron (40)
Chalosse, Monsieur, vous l’avez compris, ce n’est pas une race : c’est un terroir sur lequel l’homme perpétue un ancestral savoir-faire, détaillé désormais dans un drastique cahier des charges.
Il faut, Monsieur, avoir goûté une aiguillette de rumsteck labellisé pour le comprendre vraiment : la saveur, Monsieur, est incomparable, la tendreté itou.
Le Chalosse et l’artisan
C’est une viande de connaisseur, qui ne s’achète pas suintante de sang : une bonne viande ne peut être rouge fluo, Monsieur, elle doit s’être reposée « au moins dix jours pour les viandes à griller, au moins quinze pour les viandes à bouillir et à braiser » (ce n’est pas moi qui le dit, Monsieur, c’est le cahier des charges : drastique, je vous le disais). Ce délai de maturation – en chambre froide, évidemment – nous donne le temps de rassir, il nous permet d’exprimer pleinement notre caractère : oui, Monsieur, rassir ! La viande rassise ne sent plus la viande fraîche, c’est vrai, le profane – celui qui nous commande « bien cuit » et défaille en voyant perler une goutte de notre sang – pourrait nous qualifier d’avariée, le fumet que nous dégageons inspire peu confiance à la ménagère soucieuse de la santé de ses enfants : c’est bien dommage, Monsieur, car le goût, le goût, le goût !
Et si vous saviez à quelles manipulations se prêtent certains supermarchés pour nous faire briller …
C’est pour cela, Monsieur, que vous ne trouverez pas de Chalosse en grande surface : nous ne sommes commercialisés qu’en boucherie traditionnelle, pour que le maître artisan – qui nous suspend dans son frigo et nous débite à la demande – puisse expliquer à ses clients qui nous sommes, et d’où nous venons. Sous cellophane, notre couleur très légèrement grise pourrait rebuter le consommateur trop peu averti : une fois éduqué par son boucher, croyez- moi, il en vaut deux, mange comme quatre, et ne jure que par nous !
Ils ne sont pas nombreux à nous commercialiser, car nous ne sommes pas nombreux : à peine 1700 par an (dont 1200 blondes) ! Nous faisons le bonheur des clients – des amis ! – d’une soixantaine de bouchers installés dans les Landes, en Gironde, dans les Pyrénées-atlantiques et dans les Hautes-Pyrénées (quelques-uns sont en région parisienne, une poignée ailleurs, dans la Drôme, le Calvados, la Haute-Savoie, la Sarthe ou le Cher).
La liste complète des boucheries agréées se trouve sur notre site : ils arborent fièrement sur leur vitrine le logo à corne rouge.
Notre qualité est évidemment reconnue par les plus hautes autorités du Pays : en plus de notre Label Rouge (depuis 1991), nous bénéficions (depuis 1996) d’une certification IGP (Indication Géographique Protégée), et nous attendons la Légion d’Honneur, les Palmes Académiques, le Mérite agricole, que de toute évidence nous méritons …
Le Chalosse et les étoiles …
Le cahier des charges dont je vous parlais (drastique, hein ?) impose que nos derniers six mois – on parle ici d’engraissement terminal – se déroulent en Chalosse : nous ne sommes alors – à l’issue d’un élevage long de plus de trois années, alors que nos frères élevés en batterie sont bien souvent abattus avant leur premier anniversaire, et les vaches laitières : en fin de carrière – nourris que de maïs récolté sur l’exploitation, notre gras et notre muscle se mélangent – on dit que notre viande se persille – et nous nous économisons en étable, avant – pour votre plus grand bonheur – d’entamer notre dernier voyage …
La Mecque du Chalosse, Monsieur – si je peux m’exprimer ainsi – est sans conteste le Relais de la Poste de Monsieur Coussau à Magescq : Monsieur Coussau – doublement étoilé, sachez-le – vient nous choisir sur pied. Il nous regarde grandir : si ça, c’est pas de la traçabilité … Il sert nos tournedos avec une sauce aux truffes, et nos filets avec un ragoût de queue de nous (à la très sympathique Auberge Côté Quillier, juste à côté, il propose (avec un supplémenta) du contre-filet dans le très accessible menu à 39 euros).
Le Chef Jean Coussau au piano du Relais de la Poste ** à Magescq (40)
Voilà, Monsieur, sur la Chalosse, vous savez tout, sur le bœuf de Chalosse itou : je n’ai plus qu’à vous souhaiter un excellent appétit …
Comment, Monsieur ? ah ! vous ne connaissez pas Monsieur de Pomarez ? C’est un fromage, Monsieur, un fromage crémeux confectionné au cœur de la Chalosse (lui aussi, oui), dans les cuves de la laiterie éponyme (1), je vous le conseille, je me permets, Monsieur, nous commençons à nous bien connaître : de tous les fromages landais, le meilleur il est (et une sauce au Pomarez pour napper la bavette de Chalosse, Monsieur, c’est un délice : un pur délice !).
Bien à vous, Monsieur.
(1) Malheureusement, elle n’existe plus, et le Pomarez a disparu
Le boeuf de Chalosse, à retrouver sur le site de l’association des éleveurs
Qualité Landes (adresses, recettes, vidéos), pour devenir fan des produits landais !
Le Relais de la Poste ** de la famille Coussau, Magescq (40)