Pour quelques épaulards de plus …

Le soleil se lève sur les îles Lofoten.
Enfin, le soleil : en octobre, déjà, il se fait discret, le soleil, au Nord de la Norvège, il faut bien profiter de la matinée, ne surtout pas rater le début de l’après-midi, pour le moins fugace.
Dès treize heures, la nuit s’installe, à seize heures, les voitures allument leurs phares, les rues, vides, ne sont plus éclairées que par les devantures des cafés et des restaurants, centres de la vie sociale.
Les boutiques déclarent forfait beaucoup plus tôt : malheur à celui qui a oublié de passer par l’épicerie. Entre le 3 décembre et le 8 janvier, c’est la nuit polaire, totale, même le soleil reste couché. Les habitants ont beau être habitué, ils attendent tout de même l’été avec impatience : de fin mai à mi-juillet, il fait jour sans interruption.
Du coup, ils en profitent, ils vivent dehors, prennent d’assaut les plages, enchaînent concerts, fêtes et barbecues, se dorent sous le soleil de minuit.

Au rythme de la nature
Sur les îles Lofoten, on n’a pas le choix : on vit au rythme imposé par la nature, capricieuse.
Les jours de tempête, on se calfeutre.
Lorsqu’il neige, on aménage ses horaires.
Lorsqu’il fait nuit en plein cœur de l’après-midi, on compense en allumant toutes les lumières, en oubliant de tirer les rideaux, en ne fermant pas les volets : de l’extérieur, les maisons, éclairées comme des vitrines de Noël, brillent de mille feux. On pend des lustres aux fenêtres, pour donner l’illusion qu’elles illuminent la pièce.
Les landes rocailleuses, marécageuses, sont balayées par les vents, la route Olaf (la E10, de son vrai nom), qui traverse l’archipel, serpente entre les fjords, les montagnes aux sommets enneigés et les torrents. Même les vaches – des Highland Cattles –, portent des doudounes, les chevaux sont trapus, les moutons, bien rembourrés, trouvent toujours l’abri d’un talus.
Sauvage, la nature, un rien hostile, parfois, mais magnifique : préservée, protégée, elle ne peut que fasciner celui qui prend le temps de la contempler (aux Lofoten, la nature, on a toujours le temps de la contempler). C’est le paradis des randonneurs, qui peuvent marcher pendant des heures sans rencontrer âme qui vive, le long de la mer ou à l’intérieur des terres, escalader, observer, s’émerveiller toute la journée. Ils peuvent aussi s’asseoir, et scruter l’horizon : le temps est rarement stable, aux Lofoten, chaque minute qui passe colorie différemment le paysage, l’eau des lacs passe du bleu au rose, le spectacle, grandiose, est permanent.

Orca Safari
Sur le quai de Svolvær, la capitale, un petit groupe emmitouflé, engoncé dans des combinaisons de survie, se prépare à embarquer. Le jour se lève et le ciel se couvre de nuages blancs, la mer, sombre, n’annonce rien de bon. La question est lancinante : en verra-t-on ?
Le vent souffle en rafales, il fait moins trois. Le capitaine annonce des creux de quatre à cinq mètres, il demande à ses passagers de s’accrocher, surtout au début, en entrant dans le fjord.
La guide confirme, fataliste : ça va secouer.
La vedette s’éloigne du port, accélère, tape durement sur les vagues, rebondit, sa proue se dresse, la douzaine de touristes enlace le bastingage, se cramponne aux bancs de bois : ce n’est pas du bateau-mouche, on s’en doutait, mais la traversée, c’est sûr, va être sportive.
Le safari d’orques est, en hiver, la principale attraction des Lofoten : entre cinq et sept cents orques, qui suivent les harengs migrateurs, viennent chaque année s’y restaurer en famille, d’octobre à janvier, suivis par des touristes armés d’appareils photo et de camescopes.

Le bateau se glisse entre des montagnes d’une hauteur impressionnante, il frôle l’île de Skrova, habitée par des pêcheurs de baleine toujours en activité, qui ne peuvent en pêcher que cinq par ans. L’été, aux Lofoten, les baleines, moins nombreuses, remplacent les orques, mais, toute l’année, c’est la morue, qui fait la richesse de l’île.
Juste après Skrova commence le Vestfjord, le bras de mer qui sépare les Lofoten du continent.
Le spectacle est impressionnant, insolite, on se croirait au sommet des Alpes, dans un lac d’altitude qui aurait totalement perdu sa sérénité.
On imagine un pays inondé, dont n’émergerait plus que les sommets enneigés.
Il y a des visions de fin du monde, de déluge, les montagnes plongent à pic dans l’eau noire agitée par les vagues. Les vikings ont longtemps habité les Lofoten, ils devaient s’y sentir en sécurité.

Introuvables orques
Un aigle marin suit un moment le bateau, des goélands patrouillent à la recherche de nourriture.
Les touristes encapuchonnés ont été prévenus : cherchez les mouettes, les orques sont souvent dessous. Lorsqu’ils chassent, en meute, ils laissent derrière eux pas mal de poissons, ce qui fait le bonheur des oiseaux. Tout le monde scrute l’horizon, la radio crépite : le capitaine interroge les gardes côtes, les pêcheurs, les ferrys, les scientifiques.
Rien pour l’instant : pas la moindre nageoire en vue.
Là, un nuage d’oiseaux : raté, c’est un pêcheur de cabillaud (de loin, pour le néophyte, un pêcheur de cabillaud ressemble quand même beaucoup à un pêcheur de harengs).
La Norvège consomme énormément de cabillaud au moment de Noël, dont un des plats typiques, le Lutefisk (accompagné d’une purée de pois cassés), est composé de tranches de cabillaud qui, après avoir passé deux semaines dans l’eau de mer, sont plongées une journée dans une sorte de solution saline concentrée qui les gélifie (âmes et estomacs sensibles, s’abstenir).
Un groupe d’orques est repéré, la vedette accélère, quelques nageoires apparaissent à l’horizon, vite rejointes par un zodiac et par le bateau de Tysfjord.
La famille d’orques entoure le banc de harengs, le rassemble à grands coups de queue et le traverse, la bouche ouverte. Un des mâles sort de l’eau pour observer les alentours, il se dresse, vertical, impressionnant, puis plonge avec délicatesse pour ne pas perdre sa place à table.

Les plus vieilles montagnes du monde
Le retour vers Svolvær est plus calme, avec, à la main, un bol de soupe bien mérité (de soupe au poisson, évidemment).
Il arrive que les orques ne se montrent pas, que la vedette rentre bredouille : ce n’est pas bien grave, même si la rencontre avec les orques est sympathique.
Le principal intérêt de cette balade en mer reste le paysage : des deux côtés du Vestfjord, les montagnes acérées, enneigées, vieilles de trois milliards d’années, qui entourent cette mer démontée constituent un fabuleux spectacle dont il n’est humainement pas possible de se lasser, qui ne peut laisser personne indifférent.
Les Lofoten sont un condensé de nature sauvage, aussi hostile que fascinante, où la mer est omniprésente : on l’entend, on la voit, on la renifle, où que l’on soit.
Elle gronde, elle embaume et elle nourrit. Il fait nuit lorsque la vedette accoste (il faut dire qu’il est tout de même déjà quinze heures trente), les voitures ont allumé leurs phares, les rues se sont vidées, les devantures des cafés, noirs de monde, happent les passants qui ne s’attardent pas.
La longue nuit polaire commence, il ne reste plus qu’à aller se calfeutrer, bien au chaud, dans une pièce illuminée, pour compenser, à faire comme les orques : profiter de la vie de famille …

L’archipel des Lofoten
Situé au large des côtes norvégiennes, entre le 67ème et le 68ème parallèle Nord (donc, au-dessus du cercle polaire), constitué d’un chapelet d’îles reliées entre elles par une route nationale de 168 kilomètres (la fameuse E10), l’archipel des Lofoten s’étend sur 1 227 km².
La population (environ 24 000 habitants), éparpillée sur une étroite bande côtière, vit surtout de la pêche et du tourisme : le cœur des îles, surnommées « les Alpes de la mer », est hérissé de sommets pointus, difficilement accessibles, dépourvus de route.
Les villes de Svolvær, Stamsund et Kabelvåg concentrent les commerces et les administrations.
L’archipel est baigné par le Gulf Stream, qui lui procure un climat tempéré (de moins un l’hiver, en moyenne, à douze en été).

Les orques
Les orques sont des animaux étonnants, à la vie sociale très développée, qui vivent en famille.
Un groupe peut atteindre une trentaine d’individus.
Attention : c’est maman qui commande ! Elle entraîne dans son sillage ses fils et ses filles, les enfants, les petits-enfants de ses filles, conçus au hasard des rencontres.
Les mâles s’éclipsent discrètement de temps à autre pour aller conter fleurette aux femelles des voisins, puis reviennent sagement dans le giron de leur maman (ce qui évite la consanguinité).
La survie de la famille dépend d’eux : imposants (de sept à huit mètres de long pour quatre à cinq tonnes), ils protègent leurs sœurs, leurs tantes, leurs nièces et leurs neveux.
Ils apprennent aux petits à chasser, à somnoler entre deux eaux.
Les orques ne dorment jamais (ils pourraient couler et se noyer), ils reposent leur cerveau par moitié, exerçant de temps en temps une activité réduite en flottant entre deux eaux.
Au décès de la mère, la troupe se reforme derrière la femelle la plus âgée.
Chaque famille a son langage, que les autres orques ne comprennent pas, sa fréquence, sur laquelle les autres ne peuvent pas se brancher.
Le docteur Heike Vester, installée à Henningsvær, consacre sa vie à étudier les bruits de l’océan, elle arrive à identifier la famille d’orques rien qu’en écoutant les sons qu’elle produit.
L’empreinte digitale des orques, c’est leur nageoire dorsale : de un mètre à un mètre cinquante chez les mâles, elle ne dépasse pas les quatre-vingts centimètres chez les femelles.
Les bébés – dont les célèbres taches blanches sont, la première année, jaunes ou roses –, ont la nageoire des femelles, courte et recourbée.
L’équipe de scientifiques, emmenée par Tiu Similä, basée à Tysfjord, photographie les orques pour les identifier, et, ainsi, pouvoir les étudier. Elle a établi un véritable arbre généalogique, les a suivis dans leur migration, qui ne fait que suivre celle des harengs (six millions et demi de tonnes de harengs débarquent ainsi chaque année dans la Mer de Norvège).
Les orques ont fait preuve, à travers les âges, d’une adaptabilité à toute épreuve : présents dans toutes les mers du monde, ils n’apprécient qu’une seule sorte de poisson.
Ainsi, les orques de Norvège, plus petits que leurs cousins de Californie, ne se nourrissent que de harengs (soixante-dix kilos par jour), ils n’aiment pas le cabillaud et dédaignent les phoques, pourtant nombreux dans la région.

Safari d’orques
Des safaris d’orques sont organisés au départ de Svolvær par ORCA Tysfjord, avec un guide polyglotte : comptez 950 couronnes norvégiennes (115 euros), pour une promenade en mer de 4 à 6 heures (attention ! les tarifs sont ceux de 2007, et ORCA Tysfjord semble ne plus exister), en bateau (avec une quinzaine de passagers), ou en zodiac (pour trois à quatre heures de rodéo sur les vagues).
Un peu partout sur l’île, des pêcheurs, des photographes ou des hôteliers organisent leurs propres safaris, les prix varient du simple au double, la qualité aussi.

De l’autre côté du Vestfjord, sur le continent, ORCA Tysfjord est un complexe hôtelier, qui accueille les touristes et organise des safaris quotidiens (d’octobre à janvier, à partir de 100 euros), au départ de Tysfjord, ou des Lofoten. Il est même possible de nager à côté des orques (s’ils acceptent de vous attendre, ce qui n’est pas gagné) : c’est le snorkelling (190 euros), à envisager quand le ciel est bleu et la mer calme. L’hébergement à Tysfjord est assez confortable, plutôt cher (80 euros la nuit par personne, sans compter les repas), mais sans charme particulier : il est préférable de s’installer sur les Lofoten, d’en profiter pour découvrir l’archipel (attention ! les tarifs sont ceux de 2007).

La morue
La morue est, depuis le XVIe siècle, la principale richesse de l’île, c’est elle qui a poussé les marchands allemands de la Hanse, installés à Bergen, un peu plus bas, à établir un comptoir aux Lofoten, c’est elle, aussi, qui a permis à l’île de survivre avant que le tourisme ne lui procure d’autres ressources. La morue est surtout pêchée au printemps, elle est décapitée, vidée, et trempée dans l’eau de mer en attendant le mois de mars. Elle est alors mise à sécher en extérieur, accrochée en grappe à d’impressionnants râteliers de bois, installés un peu partout sur les côtes, qui se couvrent de poissons et ressemblent à de gigantesques tentes odorantes. Elle y reste de deux à trois mois et perd le tiers de son poids, pour devenir dure comme du bois : dans les entrepôts, on l’empile et on la conditionne comme une bûche. Les pêcheurs de l’île en exportent plusieurs milliers de tonnes chaque année, au Portugal, dans le sud de la France ou en Italie, où elle est réhydratée pour être cuisinée. La technique, traditionnelle, est transmise de bouche à oreilles depuis l’époque des vikings, dont elle était la nourriture de base.

Carnet pratique (n’a pas été actualisé depuis sa parution)
On accède aux îles Lofoten par la route, via Narvik, par avion, via Bodø (avec de nombreuses correspondances pour Oslo), ou par bateau, via Skutvik ou Bodø (sur place, il est indispensable d’avoir un véhicule).
L’hébergement traditionnel, le rorbu, est une sorte de cabane de pêcheurs, en bois, sur pilotis, avec un débarcadère en guise de terrasse : de nombreux hôtels proposent ce type de location, à mi-chemin entre le gîte et la chambre (petit-déjeuner compris, servi au restaurant).
La plupart des rorbus sont équipés d’une cuisine.
Le Nyvågar rorbuhotell, à Kabelvåg, avec sauna, jacuzzi (en plein air), et excellent restaurant, est, en pleine nature, le plus abouti, le plus agréable à vivre.
Le Svinøya rorbuer, plus proche de Svolvær, est moins confortable (mais il est situé juste à côté du port de pêche, illuminé la nuit), son restaurant, plus réputé, est aussi plus cher.
Le village d’Henningsvær mérite le détour, pour ses artistes, ses artisans, et son Henningsvær Bryggehotell, un hôtel-restaurant très accueillant, dont les chambres donnent sur le canal qui fait office de port de pêche.
L’office de tourisme des Lofoten diffuse des informations en français et en anglais.