Plein les pâtes, de Marco Polo !
in La Fureur des Vivres, novembre 2010
Intéressons-nous d’abord, vous allez voir pourquoi, à Saint-Nicolas : il convient d’ailleurs, n’oubliez pas, de le célébrer comme il se doit dans moins d’un mois, à grands coups de spéculoos et de massepains …
Nicolas, fils d’Anne, sœur de l’archevêque de Myre, et d’Euphémius (qui n’est pas l’inventeur de l’euphémisme), est né entre 250 et 270 à Patara, port important de Lycie (un ancien Royaume grec situé au sud de la Turquie). Il devient par piston (merci, tonton), évêque de Myre (aujourd’hui, Demre, en Anatolie), après avoir été le Supérieur du Monastère de la Sainte-Sion. La légende lui attribue quelques bonnes actions et un miracle, mais il n’a jamais été béatifié : il fait partie de ces saints populaires qui ne le sont pas, dont l’Église tolère le culte.
Trois petits salés
Nicolas hérite de la fortune de ses parents (ils sont emportés par la peste peu après sa naissance), ce qui lui permet d’être généreux : pour les sauver de la prostitution, il jette par exemple, par trois fois, par la fenêtre, une bourse pleine d’or à trois filles dont le pauvre père, ruiné, est incapable de payer la dot (cette légende est probablement à l’origine des trois sacs qui ont longtemps figuré sur l’enseigne des prêteurs sur gages).
On raconte aussi qu’il a, en passant, ressuscité trois enfants qu’un boucher avait tués, découpés et salés : les miracles de Nicolas vont toujours par trois, ce qui permet d’imaginer qu’ils ont été inspirés par la légende des trois officiers de Constantin, mais c’est une autre histoire …
Les enfants avaient été bien sages, alors Nicolas les a sortis du saloir où ils reposaient depuis sept ans (l’âge de raison), pour, d’un coup de crosse magique, les ramener à la vie (sadique, il a tout de même offert au boucher un martinet et le job de Père Fouettard).
L’empereur Dioclétien (245-313), qui régnait alors sur toute l’Asie mineure, persécutait les chrétiens : Nicolas est emprisonné, puis exilé. Lorsque l’empereur Constantin (272-337) lui succède et se convertit au christianisme, il rétablit la liberté de culte. En 313, Nicolas reprend sa place d’évêque. On affirme qu’il était présent en 325 au premier Concile de Nicée, mais son nom ne figure pas, selon les spécialistes, sur la liste officielle des participants.
Bari n’est qu’à deux doigts
Saint-Nicolas est mort le 6 décembre 343, jour de sa fête (pas de bol). Inhumé à Demre, il est, en 1087, au retour d’une Croisade, emmené par des marins (dont il est le Saint patron) à Bari : son corps, qui suinte une huile miraculeuse, est conservé à la Basilique San Nicola, une de ses phalanges à la Cathédrale Saint-Nicolas de Fribourg (Suisse), une autre en l’église de Saint-Nicolas-de-Port (Meurthe-et-Moselle).
L’horreur des enfants soda
Lorsque les Hollandais, qui célèbrent le culte de Saint-Nicolas depuis le XIe siècle (ils n’ont pas obéi à Martin Luther qui a interdit en 1535 à Saint-Nicolas d’apporter des cadeaux, en le remplaçant par le Christkind, l’enfant Jésus), créent en 1625 la Nouvelle-Amsterdam, ancêtre de New-York, ils importent leurs coutumes : Saint-Nicolas (Sinterklaas en néerlandais) deviendra Santa Claus (ce nom est probablement apparu entre 1821 et 1844).
La Nouvelle-Amsterdam (qui correspond à l’île de Manhattan) devient anglaise en 1664, elle change de nom en honneur du Duc d’York (non, pas du jambon, cher à Nougaro), mais conserve cette sympathique tradition …
Et les pâtes, dans tout ça, me direz-vous à juste titre ? Figurez-vous que c’est aussi à New-York, à Brooklyn, pour être précis, qu’en 1848 s’installe la première usine de pâtes du continent américain, à l’initiative d’Antoine Zerega, Français natif de Lyon et meunier de son état.
Comme je le raconte dans mon Petit traité des pâtes (Le Sureau éditeur, 2010), il a installé un cheval dans le sous-sol de sa manufacture, dont la révolution fait tourner le machine, et ses pâtes sèchent au soleil, sur le toit de son entreprise : à la même adresse, elle existe toujours.
Santa Claus, donc, perd progressivement outre-Atlantique sa mitre d’évêque (qu’il porte toujours là où il cohabite avec le Père Noël), il s’habille en rouge, se coiffe d’un bonnet, s’installe au pôle Nord et ne se déplace plus qu’en traîneau ! Les deux traditions païennes se rejoignent : les fêtes de Noël existent en effet depuis l’Antiquité, lorsque l’on célébrait le triomphe de la lumière sur les ténèbres, c’est-à-dire le passage du solstice d’hiver …
La publicité récupère Santa Claus dès 1890 pour vanter les mérites du savon Star Soap : il fera une grande carrière, ce qui a poussé certains (moi le premier, mea culpa) à affirmer que le Père Noël était une invention de Coca-Cola !
La première publicité en couleur pour un soda paraît le 12 décembre 1923 dans le magazine Life : elle ne vante pas (encore) les bulles digestives du plus célèbre cola du Monde, mais celles de sa concurrente Ginger Ale, de White Rock Beverages, qui utilise Santa Claus en noir & blanc depuis 1915 pour promouvoir ses produits.
Coca-Cola essaie, depuis le début des années vingt, de convaincre ses clients qu’il n’y a pas de saison pour boire du Coca : en décembre 1930, la firme d’Atlanta utilise pour la première fois Santa Claus pour sa publicité hivernale (les illustrations d’Haddon Sundblom, l’année suivante, sont tellement ancrées dans l’imaginaire collectif que l’on affirme souvent – à tort – qu’il en est l’inventeur !).
Retomber sur ses pâtes
C’est probablement cette récupération publicitaire de Saint-Nicolas (il a fait la promo de cigarettes, et de tout un tas d’autres choses), qui conduit les rédacteurs du Macaroni Journal, le support de communication de la National Macaroni Manufacturers Association (qui, en 1981, deviendra la National Pasta Association), à attribuer en 1929, à Marco Polo, dans un article qui présente de manière scientifique cette révélation comme un fait acquis, l’arrivée des pâtes alimentaires chinoises en Europe.
C’est peut-être aussi parce que l’immigration italienne, qui a débuté dans les années 1880, a atteint son apogée juste avant la première guerre mondiale, et il convient de ne pas lui laisser le monopole de la pasta (un peu comme le couscous présenté comme un plat de pieds-noirs pour lui donner une légitimité nationale, alors qu’il était kabyle bien avant que le Maghreb ne soit arabisé) ! Rappelons tout de même que c’est Thomas Jefferson (1743-1826), troisième Président des USA (de 1801 à 1809), et non les Italiens, qui a amené aux États-Unis les macaronis qu’ambassadeur en France (de 1785 à 1789), il avait découverts à Naples : on raconte qu’il a aussitôt envoyé chez lui une machine à les fabriquer.
La National Macaroni Manufacturers Association recherchait pour ses pâtes un ambassadeur exotique, et son choix s’est tout simplement porté sur Marco Polo, mais revenons sur ce qui s’est réellement passé …
Marco Polo (1254-1324) arrive à Venise en 1295, après un exil chinois de vingt-quatre ans : il est resté dix-sept ans sur place, et a voyagé pendant sept ans (il raconte avoir visité Sumatra, Ceylan, Ormuz, Bassora et Bagdad avant de rejoindre Damas à dos de dromadaire : son retour a duré quatre ans).
Sur les six cents compagnons qui quittèrent la Chine, dix-huit, seulement, accostèrent place Saint-Marc (peu probable qu’il ait transporté dans son sac des spaghettis, petites ficelles, en italien).
Marco Polo met pied-à-terre et repart aussitôt combattre les Génois, le font prisonnier le 8 septembre 1298 lors de la bataille de Curzola.
Curzola est une île proche de la côte dalmate. Marco Polo doit s’y sentir chez lui : revendiqué comme Vénitien, il est Dalmate, né probablement à Curzola.
En tout cas, il profite de sa détention pour dicter à Rusticello de Pise, l’écrivain anglo-italien qui partage sa cellule, son Devisement du Monde (Il Milione, en italien), traduit en français sous le nom de Livre des Merveilles.
Il raconte que les Chinois utilise le blé pour fabriquer toutes sortes de pâtes. Il précise qu’ils n’ont pas l’usage du pain, et, selon la traduction de William Marsden (1818), qu’ils ne mangent le blé que sous forme de vermicelles ou de pâtisserie, mais cette traduction est contestée entre autres par Gregory Blue, dans son article Marco Polo et les pâtes (in Médiévales, 1991). Marco Polo a-t-il voulu vraiment évoquer les pâtes, la pâtisserie ou les pâtés ? a-t-il réellement dit vermicelles, ou nouilles ?
Peut-être : les Chinois confectionnent depuis fort longtemps des pâtes à base de blé (mian) et à base de farine de riz (fen). Marco Polo en a-t-il ramené ? non !
Gregory Blue affirme – et je suis d’accord avec lui – que nous ne disposons d’aucun témoignage écrit (…) pour étayer l’hypothèse qu’il rapporta de Chine de nouvelles sortes de pâtes.
L’existence des pâtes, invention Mésopotamienne (on cultivait le blé dix mille avant JC dans les provinces de Babylone) est d’ailleurs attestée en 1244 à Bergame et à Florence, en 1154 à Trabia (trente kilomètres à l’est de Palerme), où les Arabes les ont introduites sous la forme de vermicelles en 827, lorsqu’ils ont conquis la Sicile qu’ils quitteront en 1091, après avoir capitulé à Noto, près de Syracuse. Une abondante quantité de pâtes en forme de ficelle sont exportées partout, en Calabre et dans des pays musulmans et chrétiens, même par bateau, écrit le géographe arabo-andalou Charif Al Idrisi (1100-1165).
La Sicile est alors possession normande (Al Idrisi travaille pour notre bon roi Roger II), elle le restera jusqu’en 1282.
Pour se faire pardonner son vilain mensonge (qui a tout de même permis à Michel Oliver d’écrire le livre Célébration de la nouille, il aurait été dommage de rater ça !), la National Pasta Association s’est associée à l’International Pasta Organization (IPO), fondée en octobre 2005 à Barcelone, pour instituer le 26 octobre Journée Mondiale des pâtes : sûr que s’il est invité l’année prochaine, Marco Polo viendra fêter ça !