22, les v’là !

On entend volontiers raconter que nos amis de la police sont devenus des poulets en 1871, lorsque Jules Ferry, maire de Paris du 15 novembre 1870 au 5 juin 1871 (après Étienne Arago, et avant Jacques Chirac, treizième maire de la capitale depuis 1789) met à la disposition de la préfecture de police la toute neuve Caserne de la Cité, qui aurait été construite à la place de l’ancien Marché aux volailles, d’où le sobriquet (affectueux, m’sieur l’agent, j’vous jure), dont se retrouvent alors affublés les sergents de ville : créés par arrêté préfectoral du 12 mars 1829, ils sont les ancêtres des hirondelles d’hier et des Lustucru d’aujourd’hui (pasta e pollo ? un régal !).

Article publié sur le site La Fureur des Vivres en décembre 2010, dans le numéro consacré à la volaille

Elle est belle, non, cette histoire ? On la trouve un peu partout sur de très sérieux sites Web (dont certains se revendiquent encyclopédiques), assise à côté de sa copine qui assure que les pâtes ont été ramenées de Chine par Marco Polo, que Coca-Cola a inventé – c’est de saison – le Père Noël ou que Parmentier a découvert la pomme de terre. Elle permet, entre l’aile et la cuisse, de faire à bon compte son canard pour briller dans les dîners en ville. Elle est belle, mais elle est fausse : faites monter de la bière et des sandwiches, on reprend tout depuis le début …

Se faire embrocher par un poulet ou arrêter par un brochet ?

La préfecture de police a été créée en 1800 par Napoléon Bonaparte (encore Premier Consul) pour remplacer la Lieutenance générale : le préfet de police exerce les attributions du Lieutenant général de police, fondé par Louis XIV en 1667 pour remplacer le Prévôt de Paris. 

La préfecture de police occupe l’ancien hôtel des Premiers Présidents du Parlement, au fond de la rue de Jérusalem : les pèlerins qui, au Moyen-âge, partaient en Terre Sainte, ou en revenaient, trouvaient asile dans cette rue, d’où son nom. Elle traversait l’île de la Cité, à l’emplacement de l’ancienne Abbaye Saint Martial, fondée par Saint Éloi au VIIe siècle. 

Saint Éloi (588-659) vivait sous Clotaire II (584-629) et Dagobert, Roi des Francs de 629 à 639. D’ailleurs, le jour où Dagobert a mis sa culotte à l’envers (il paraît que cela arrivait souvent : il était très distrait), le grand Saint Éloi lui a dit qu’il était mal culotté : c’est vrai, lui a répondu le roi, je vais la remettre à l’endroit ! La parabole sexuelle associée à la formule « à l’envers » ne vous aura probablement pas échappé …

En 1844, la préfecture annexe le voisin hôtel abandonné par la Chambre des Comptes. 
Les bâtiments de la rue de Jérusalem brûlent pendant la Commune de Paris et la préfecture déménage quai du Marché Neuf (dans le prolongement du Quai des Orfèvres) où l’actuelle préfecture de police a été construite entre 1863 et 1867 dans un style néo-florentin, sous la direction de l’architecte Victor Calliat (1801-1881) pour accueillir la Garde de Paris, ancêtre de la Garde Républicaine.

Je ne veux pas ergoter, mais imaginer que, 8 ans après sa démolition, le marché aux volailles inspire le surnom des nouveaux occupants est un peu tiré par les plumes ! Surtout qu’en argot italien, la police est une pula, une poule, et qu’il n’y a jamais eu de marché à la volaille sur le Quai du Marché Neuf, mais un marché aux herbes et aux poissons ! 22, v’là les truites ? pas terrible …

Mes poulets au Couvent

Vérification faite, un marché à la volaille, au beurre et aux oeufs, dit Marché de la Vallée, s’installe bien dans le quartier, Quai de la Vallée (devenu Quai des Grands Augustins) de la fin du XVIIe au milieu du XIXe siècle : dans le quartier, oui, mais de l’autre côté de la Seine !

Une peinture sur éventail du XVIIe, nommée « Marché à la volaille et au pain », est visible au Musée Carnavalet de Paris, et Zola en parle, dans Le ventre de Paris (1873) : « des camions arrivaient au trot, encombrant le marché de la vallée de cageots pleins de volailles vivantes ».

Napoléon – encore lui ! – signe le 25 septembre 1807 un décret impérial dont l’article 5 ordonne la construction d’un marché « pour la vente en gros et en détail de la volaille et du gibier », sur les ruines de l’ancien couvent des Grands Augustins. 
La première pierre est posée le 17 septembre 1809, à l’emplacement de l’église et d’une partie du cloître du couvent des Grands Augustins (il reste des traces du réfectoire dans la cour du no 3 de la rue des Grands Augustins, perpendiculaire au Quai).
Le 10 février 1812, Napoléon en fixe par décret les limites : « la halle à la volaille sera isolée et terminée du côté de la rue du Pont de Lodi, conformément au projet joint au présent décret » (article 1), et « les propriétés (…) seront acquises aux frais de la Ville, pour cause d’utilité publique » (article 2).

Sur le site du Marché Neuf, de l’autre côté de la Seine, en face de Notre-Dame, l’existence d’un Marché aux poissons et aux herbes est attestée depuis le 4 juin 1568, quand les poissons ont rejoint les herbes, installées là depuis 1210 (le quai a alors changé de nom : la rue de l’Orberie – ou Herberie – a disparu). 

En 1393, dans Souper mortel aux étuves (Agnès Viénot, 2006), Michèle Barrière envoie Agnès et Constance acheter anguilles, tanches, barbeaux et saumon près du Pont-au-Change (de l’autre côté de la Cité), tandis que « dans la rue aux Oues, petite, bruyante, enfumée (…) se tenaient la plupart des rôtisseurs d’oies et de volailles de Paris » (la rue aux Oues – aux Oies – s’allongeait aux pieds de Saint-Jacques de l’Hôpital – ou Saint-Jacques aux Pèlerins –, entre Saint Eustache et Étienne Marcel qui n’existaient pas encore : l’hôpital donnait sur la rue Saint-Denis, il a été démoli en 1829). 

Le Marché Neuf quitte les lieux en 1853 pour que le quai soit reconstruit : il trouve refuge quai Napoléon, près du pont de la Cité, aujourd’hui quai aux Fleurs, avant de rejoindre un des dix pavillons construits par Victor Baltard aux Halles entre 1852 et 1870 …

Et le keuf de la meuf ? c’est du poulet ?

Alors, poulet, ça vient d’où ? Des Bleus qui auraient, l’Ain dans l’autre, épousé de bressanes poulardes ? De l’envie que l’on a parfois de leur voler dans les plumes ? Du policier en civil qui glane les renseignements comme le poulet picore les grains, ainsi que l’affirme Louis-Jean Calvet dans son ouvrage sur la « langue verte » (2) ? Du fait que le poulet est l’eunuque du coq ? Ou de la prononciation populaire d’Algérie (poulice), comme le suggère Claude Duneton (que l’on a connu plus inspiré) ?
Et bien : on n’en sait rien ! mais alors rien, rien de rien …

Et flic, d’où ça vient ? du Marché aux poissons, installé sous les fenêtres de ce qui deviendra la préfecture de police de Paris, parce que les poissons font flic flac dans l’eau ? Non plus ! 

Gabriel Nicolas de La Reynie (1625-1709), premier Lieutenant général de police de Paris (de 1667 à 1697) organise un réseau d’indicateurs rémunérés (de cousins, on dit maintenant) : les mouches sont en liberté, les moutons en prison. Flic (que l’on retrouve dès 1828), pourrait provenir de fliege, « la mouche » : le mot aurait été véhiculé par les Juifs d’origine allemande (en 1824, sous Charles X, les nobles exilés en Prusse reviennent à Paris, appâtés par « le milliard des émigrés »).
Ou alors de flick, qui, dans l’argot des bandits allemands, signifie « garçon, jeune homme » ?
Ou encore de  flinke, frapper : en tout cas, l’origine allemande fait peu de doute.

Un calibre 22 qui fait long feu

On ne sait pas non plus pourquoi quand les v’là, on crie 22 ! 

Il y a moult théories, mais aucune n’est attestée : que fait donc la police ?

Les pavés de Paris avaient en mai 68 (quand ils dissimulaient la plage aux yeux des étudiants) un calibre officiel de 22 centimètres de côté : séduisante explication ? Certes, mais l’expression est attestée depuis 1874 : l’alibi ne tient donc pas.

Le téléphone n’existait pas encore : 22 n’était donc pas – comme on nous l’explique ci et là – le numéro du commissariat avant que n’apparaisse le 17. 

Continuons à chercher.

Le couteau de chasse dit « couteau d’arsouille » cher aux Apaches de la fin du XIXe siècle !
Il avait une lame de 22 centimètres ! et les vareuses des policiers comptaient 11 boutons, mais ils se baladaient toujours par deux …

Je ne suis pas convaincu, d’autant que les Italiens crient 16, les Allemands 18 et les Anglais 23 : je ne lâche pas l’affaire !

Si encore 22 était un multiple de l’œuf, nous aurions là une mathématique et convaincante explication ! 

On évoque désormais la boîte ou le pack de six pour évoquer le panier à salade : de six œufs ? de six canettes ? Nous revoilà dans la volaille ! et pourquoi est-il à salade, ce panier ? parce qu’on y raconte beaucoup de salades ? parce qu’il est grillagé comme un panier à égoutter la salade ?

Chez ma grand-mère, le poulet grillé se mangeait forcément avec des frites maison (que mon grand-père avaient taillées au couteau après avoir à côté de l’évier épluché les pommes de terre) et de la salade verte à la mayonnaise Devos Lemmens (la meilleure du Monde, sans faire de pub : pour la moutarde aussi, je reste Belge, je plébiscite celle de Jambes – ça vous en fait une belle – dont j’adore le petit goût sucré). Mon poulet, le dimanche (avant, fermier, je l’achetais tout cuit à la broche sur le marché de Trappes, dans les Yvelines, mais j’ai déménagé), en rentrant du commissariat, je le prépare comme me l’a conseillé mon ami Daniel Labarrère, Chef * à Tarbes, auteur d’un livre très amusant sur le porc Noir de Bigorre, qui cuisine toujours le poulet comme sa grand-mère maraîchère.
Lorsqu’il est cuit, je le sors du four, je le sors du plat, je l’emballe dans un linge propre, je le laisse se reposer quelques minutes dans un coin calme, pour que sa chair retrouve ses esprits, puis je passe à table quand les frites croustillent : une descente de police qui voudrait me mettre au pilon ne m’en ferait alors pas lâcher ni le blanc (mon préféré) ni la peau craquante …

ADDENDUM – J’ai depuis trouvé d’autres explications, à ce 22. Il serait une référence à la taille de la police (de caractère) utilisée en imprimerie : un dictionnaire d’argot de 1894 (probablement Le Dictionnaire d’argot et des locutions populaires de Jean La Rue – on a longtemps cru que Jules Vallès, journaliste, écrivain, élu de la Commune de Paris en 1871, se cachait sous ce pseudo – qui a été publié, avec des modifications successives, de 1894 à la fin du XXe siècle) assure que c’était le surnom du contremaître de l’imprimerie, et que 44 était celui du patron (et les lettres du mot chef, 3e, 8e, 5e et 6e de l’alphabet forment le nombre 22). Ou alors, 22 serait une déformation de Vindieu (ou vindiou, ou vingt dieux, ou vain dieu, vingt, comme le chiffre, par opposition au dieu unique, ce qui est blasphématoire, et vain comme faisant référence à l’inexistence de dieu) …

© Pierre-Brice Lebrun – La Fureur des Vivres – décembre 2010